Portraits croisés d’Olivier GREIF & Jean-Louis FLORENTZ

 

                                      Olivier Greif©Succession Greif                                                                     Jean-Louis Florentz©Succession Florentz

Portraits croisés d’Olivier GREIF & Jean-Louis FLORENTZ

Pascal ARNAULT
été 2017

La musique doit chercher humblement
à s’élever au-dessus de ce qui est.
Gabriel FAURÉ

Dix-sept ans après la disparition du premier et treize ans après celle du second, le temps de la décantation ayant fait « son œuvre », il apparaît clairement que ces deux compositeurs, qui ont hélas quitté ce monde trop tôt, occupent d’ores et déjà une place majuscule dans la production musicale de la seconde moitié du XXème siècle. Si cela relève d’une évidence, à l’heure actuelle, il n’en fut pas toujours ainsi, comme les présents portraits croisés vont le montrer, en présentant pour chaque thème évoqué, leurs points communs, mais aussi, leurs nombreuses divergences… Égrenons donc ces thèmes rassembleurs/diviseurs au gré d’un parcours certes assez fantaisiste, mais on l’espère admiratif et respectueux.

Deux compositeurs « religieux »

Jean-Louis FLORENTZ (1947-2004) a reçu une éducation chrétienne que l’on dirait aujourd’hui « ouverte », et reçu en héritage un esprit de grande curiosité ; laquelle curiosité l’amènera à chercher profondément les racines les plus lointaines du christianisme, par l’étude ethnomusicologique des musiques « traditionnelles » éthiopiennes notamment (mais pas uniquement celles-ci).

Olivier GREIF (1950-2000) a reçu une éducation plutôt athée, mais à l’âge adulte, sa nature inquiète sera sans cesse en quête de spiritualité. Son tempérament entier et parfois excessif le conduira d’ailleurs pendant dix ans dans l’ombre d’un gourou dans une « retraite » du monde musical « officiel » presque sectaire.

Deux compositeurs en marge

Jean-Louis FLORENTZ et Olivier GREIF ont en commun de s’être sentis oppressés par les « dictats » avant-gardistes alors en vogue au CNSM de Paris (lorsqu’ils y étaient élèves donc) dans les années 70 et d’avoir quitté le conservatoire avant la fin de leurs cursus, pour cette raison. FLORENTZ se « lance » alors dans l’étude approfondie de différentes sciences ainsi que de l’ethnomusicologie ; alors que GREIF part aux USA étudier à la Julliard School auprès de Luciano Berio dont il adore l’esprit libre et les collages.

Deux langages « à part »

L’écriture musicale de FLORENTZ est issue des modes de Messiaen, qu’il se réapproprie. Il en invente de nouveaux, mais dans un agencement beaucoup plus contrapunctique et épuré que l’auteur de Saint François d’Assise). Par ailleurs, le choc éprouvé à l’audition de la Deuxième Symphonie de Dutilleux, eut des résonances infinies, puisque toute son Œuvre (comme celle de l’auteur du Double) est caractérisée par un très grand sens de la concision, de la transparence orchestrale et d’un refus d’un dramatisme trop échevelé.

Chez GREIF, l’écriture musicale est un geste intuitif issu de ses prodigieux dons d’improvisateur au piano. Une écriture sans théorie, dominée par deux entités à priori opposées : les consonances des minimalistes américains d’une part, et les « déviations » vers le polytonal ou l’atonal, en grands gestes dramatiques (un peu à la manière de certaines œuvres d’Alfred Schnittke) d’autre part.

Deux natures différentes

FLORENTZ est un compositeur sensible mais raisonné ; une nature apaisée malgré ses obsessions des origines du religieux.

GREIF est un compositeur « viscéral » dans ses goûts et ses choix ; une nature tourmentée et entière.

Deux rapports différents à l’interprétation

FLORENTZ compose suite à des commandes pour des interprètes ou orchestres prestigieux.

GREIF dans sa production pianistique est le seul interprète de ses œuvres ; et dans sa production de « chambre » ou vocale, également, avec ses amis musiciens.

Deux parcours créatifs différents

Chez FLORENTZ (comme chez Dutilleux) les œuvres « arrivent au compte-gouttes » en moyenne tous les deux ans, après un long et méticuleux peaufinage. Le catalogue est relativement restreint et dominé par l’orgue et l’orchestre.

Chez GREIF, on constate une grande coupure de presque dix ans dans son catalogue (entre 1983 et 1993), période pendant laquelle, il ne se consacra en tant que musicien, qu’à promouvoir (y compris musicalement) le gourou Sri Chinmoy.

Pourtant le catalogue pour piano, piano/chant et musique de chambre est pléthorique, et dominé par le piano et la voix.

Deux héritages post-mortem différents (*)

Jean-Louis FLORENTZ est lui-même un héritier de « la couleur à la française, à la Dutilleux » ; héritage dont on trouve des traces de nos jours chez son ami Philippe Hersant et aussi chez Guillaume Connesson.

Olivier GREIF est une météorite incomparable (si ce n’est avec quelques œuvres d’Alfred Schnittke) dont on ne perçoit pas vraiment d’héritiers connus dans la production actuelle.

Deux « titrologies » différentes

Chez FLORENTZ, le titre des œuvres renvoie à un substrat religieux ou à des créations poétiques à la manière de Dutilleux.

Chez GREIF, la plupart des titres (Sonates, Trio, Quatuor, Symphonie ou titres de cycles de Lieder renvoie essentiellement à ses deux grands amours musicaux qu’étaient Schumann et Chostakovitch et à son anglophilie.

Deux compositeurs obsessionnels

FLORENTZ est obsédé par l’idée de liturgie, y compris dans la musique purement instrumentale, conçue comme le déroulé d’un rituel. Pour lui, c’est sans doute aussi un moyen de se renouveler au niveau formel.

Le passé familial de GREIF (famille aux destins complexes, dont une grande partie fut victime de la Shoah) su et tû, crée un tempérament inquiet et angoissé, qui allié à un vide d’éducation religieuse, s’est mué à l’âge adulte en un besoin impérieux de spiritualité (d’où les années passées aux cotés de Sri Chinmoy sans doute) et de poésie (Etty Hellysum, Paul Celan, Hölderlin, Heine).

(*) Voir le catalogue de leurs œuvres en annexe 1

Des goûts musicaux très marqués

FLORENTZ a horreur de la musique de l’époque romantique (si chère à GREIF !…) ; il préfère la musique baroque et le répertoire d’orgue du tout début du XXème siècle (Tournemire, Duruflé, etc. …).

GREIF est fondamentalement un compositeur romantique. Ses goûts le portent vers Schumann et Chopin, qu’il joue énormément, Britten, Poulenc et Chostakovitch (il a beaucoup joué en concert et même magnifiquement enregistré les deux premiers).

Deux parcours « primés » très différents

Pour GREIF qui fut le seul interprète de ses œuvres pendant longtemps, et du fait aussi, de son « silence » de dix ans, les prix sont peu nombreux :

1977 – Prix Nicolo de composition (Institut).
1998 – Prix Chartier de composition de l’Académie des Beaux-Arts

Jean-Louis FLORENTZ, lui, a obtenu de nombreux Prix et fut même élu membre de l’Institut.

1978 – Prix Lili Boulanger.
1980 – Prix S. Chapelier – Clergue – G. Marie (SACEM).
1983 – Prix Dauberville (Académie des Beaux-Arts).
1985 – Prix G. Willdenstein (Académie des Beaux-Arts).
1986 – Prix Dujardin (SACEM).
1989 – Prix SACEM de la meilleure création pour Requiem de la Vierge.
1989 – Grand Prix de Paris.
1990 – Chevalier des Arts et des Lettres.
1991 – Grand Prix musique symphonique SACEM.
1993 – Compositeur d’honneur de la ville de Nantes.
1996 – Élu membre de l’Institut au fauteuil de Gallois-Montbrun.
2005 – Grand Prix d’orgue de l’École Supérieure des Beaux-Arts d’Angers, post-mortem.

Au terme de ces quelques modestes regards croisés qu’ajouter de plus ? (**)…. La vie des œuvres bien sûr… Avec le catalogue pléthorique de Messiaen, les œuvres pour orgue de Jean-Louis FLORENTZ s’imposent comme des incontournables de la seconde moitié du XXe siècle ; et ses pages pour orchestre – quoiqu’encore moins fréquentées que celles de Dutilleux – commencent à s’inscrire dans le paysage des formations orchestrales. Quand à Olivier GREIF, le dynamisme des membres de l’association soutenant la diffusion et l’interprétation de ses œuvres, nous fait enfin découvrir celles-ci sous d’autres doigts que les siens et avec d’autres voix que celles de ses amis… Et ce n’est que justice !…. Oserons-nous ajouter que l’auteur de ces lignes a trouvé dans ces deux « figures », deux « modèles » à ses propres interrogations compositionnelles ?… Chez FLORENTZ la foi chrétienne réconciliée avec le corporel et l’inter religieux et le goût de la concision ; chez GREIF le dramatisme exacerbé et l’audace de juxtapositions/déviations inattendues, tellement saisissantes émotionnellement ! (ainsi que l’idée que l’acte créateur est un acte qui nous « dépasse » et que grand nombres d’idées musicales tombant sous nos doigts sont en fait comme « dictées » du ciel).

Et maintenant, que les Chants de l’Âme de l’un et sur Les marches du soleil de l’autre, nous illuminent ad vitam aeternam de leur beauté élégiaque et passionnée !

(**) Voir les renvois bibliographiques en annexe 2

Annexe 1 – Catalogue des œuvres

Olivier GREIF

Pour piano

  • In Memoriam – Gustav Mahler, 1969, op. 31
  • Rondo 42nd Street, 1970, op.33
  • Sonate dans le goût ancien, 1974, op.48
  • Sonatine, 1974, op.45
  • Sonate en trois mouvements, de guerre, 1975, op.54
  • Le Tombeau de Ravel, 1975, op.56
  • Sonate Three Poems of Li T’ai Po, 1977, op.76
  • Sonate, Trois pièces sérieuses, 1993, op.289
  • Sonate, le Rêve du Monde, 1993, op.290
  • Am Grabe Franz Liszt, 1993, op.295
  • Sonate codex Domini, 1994, op.303
  • Sonate, les Plaisirs de Chérence, 1997, op.319
  • Portraits et apparitions, 1999, op.359

 

Musique de chambre
  • Sonate n°2 pour piano et violon, 1967, op.17
  • Sonate n°3, The Meeting of the waters, pour piano et violon, 1976, op.70
  • Variations on peter Philips « Galiarda dolorosa », pour piano et violon, 1977, op.86
  • Veni Créator, violoncelle et piano, 1977, op.103
  • Na pari tomaï, pour alto et piano, 1978, op.95
  • Oi akashe, hymne pour violoncelle et piano, 1983, op.170
  • Sonate de Requiem, violoncelle et piano, 1979//1992, op.283
  • Sonate, The Battle of Agincourt, pour 2 violoncelles, 1995//1996, op.308
  • Shylock Funèbre, violoncelle et piano, 1999, op.355

 

Pour 3 instruments

  • Trio pour piano, violon et violoncelle, 1998, op.353

 

Pour 4 instruments

  • Quatuor à cordes n°1, 1966, op.10
  • Quatuor à cordes n°2 avec voix de soprano, 1996, op.314 sur 3 Sonnets de Shakespeare (en anglais)
  • Quatuor à cordes n°3, Todesfuge, avec voix de baryton, 1998, op.351, sur le poème Elegy de Dylan Thomas (en anglais)
  • Quatuor à cordes n°4, Ulysse, 2000, op.360

 

Pour 5 instruments

  • Quintette, A Tale of the World, pour piano et cordes, 1994, op.307

 

Pour 6 instruments

  • The Tailor of Gloucester, pour cor anglais, cor en fa, violon, harpe, célesta et synthétiseur, 1994, op. 301
  • Ich ruf zu dir pour piano, clarinette, et quatuor à cordes, 1999, op. 356

 

Musique orchestrale

  • Symphonie n°1, pour voix de baryton et orchestre, 1997, op. 327 sur cinq poèmes de Paul Celan (en allemand)
  • Quadruple concerto, la danse des morts, pour piano, violon, alto, violoncelle et orchestre, 1998, op. 352
  • Concerto, Durch Adams Fall, pour violoncelle et orchestre, 1999, op. 357 

 

Mélodies

  • Wiener Konzert, 1973, op.40, sur des poèmes de H. Heine (en allemand), soprano et piano
  • Light Music, 1974, op.49, soprano et baryton et piano, sur des poèmes de H. Heine
  • Four Songs, 1976, op.63, poèmes américains
  • Thee Poems of Sri Chinmoy, 1977, op.87 en anglais, soprano et piano
  • Chants de l’Âme, 1979//1995, op.310, d’après plusieurs poèmes en anglais, pour soprano et piano
  • Wie Vögel… Neuf lieder sur des poèmes de Holderlin, 1991//1992, op.270
  • Deux mélodies, 1994, op.297, poèmes en anglais
  • Les Trottoirs de Paris, duo pour soprano et ténor, 1996, op.315, poèmes d’Yves Petit de Voize
  • Le livre des Saints irlandais, 1997, op.323, cinq poèmes de John Irvine, baryton et piano
  • Imago mundi, 1998, op.347 sur différents poètes, pour baryton et piano.
  • Trois chansons apocryphes, 1998, op.350, poèmes populaires français, pour soprano et piano
  • Three Seltings of Musset, 2000, op.361 pour soprano et piano

 

Cantates

  • Bomben auf Engelland, 1976, op.43 sur un texte militaire pour voix de femme, saxophone alto et piano
  • Petit Cantate de chambre, 1976, op.73, voix de femme et 2 pianos sur le Psaume 23
  • Le Livre du Pèlerin, 1980, op.144, pour voix de femme, flûte, hautbois, clarinette, basson, cor, violon et piano, sur des poèmes de W. Blake et extraits de Psaumes de l’Ancien testament, en anglais
  • Petite messe noire, 1980, op.142, pour violon alto, voix de femme et piano
  • Lettres de Westerbork, 1993, op.291, pour voix de femme et 2 violons sur des poèmes d’Etty Hillesum
  • Hymnes spéculatifs, 1996, op.312, pour voix, clarinette, cor, violoncelle et piano su des extraits du Veda
  • L’office des Naufragés, 1998, op.354, pour voix de femme, clarinette, piano et quatuor à cordes

 

Musique Chorale

  • Premaloker, 1983, op.177, méditation pour double chœur mixte, 12 voix d’hommes et ensemble instrumental
  • Hiroshima – Nagasaki, 1983, op.169 pour chœur mixte a cappella sur des poèmes et mélodies de Sri Chinmoy (en bengali)
  • Requiem, 1999, op.358, pour double chœur mixte a cappella en latin et anglais

 

Opéra

  • , 1981, op.158, opéra de chambre en 10 scènes, pour soprano, ténor, baryton et ensemble instrumental sur un livret en français de Marc Cholodenko et Olivier Greif

Jean-Louis FLORENTZ

  • Tindé, 1975//1976, op.1, petit orchestre
  • Ténéré – incantation sur un verset coranique, 1977//1978, op.2, orchestre
  • Magnificat – Antiphone pour la Visitation, 1979//1980, op.3, ténor, chœur mixte et orchestre
  • Lune de Sang, 1981 pour cor solo n’a pas de numéro d’opus car retiré du catalogue par le compositeur
  • Les Marches du Soleil, 1981//1983, chant sacré pour orchestre
  • Vocalise, 1982, pas de n° d’opus (retiré du catalogue)
  • Laudes pour orgues, 1983//1985, op.5
  • Chant de Nyandarua, pour violoncelle solo, 1985, op.6
  • Requiem de la Vierge, 1986//1988, op.7 pour soprano, ténor, baryton, chœur mixte, chœur d’enfants et orchestre
  • Debout sur le soleil, 1990, op.8 pour orgue
  • Asmarâ, 1991//1992, op.9, chœur mixte a cappella
  • Le Songe de LLuc Alcari, 1992//1994 pour violoncelle et orchestre, op.10
  • Second chant de Nyandarua, 1995, op.11 pour 12 violoncelles
  • L’Ange de Tamaris, 1995, op.12 pour violoncelle solo
  • Les Jardins d’Amènta, 1997, op.13 pour orchestre
  • L’Anneau de Salomon, 1999, op.14, danse symphonique pour orchestre
  • La Croix du Sud, 1999//2000, op.15, poème symphonique pour orgue
  • L’Enfant des Iles, 2001//2002, op.16, poème symphonique pour grand orchestre
  • L’Enfant noir, 2002, op.17, conte symphonique pour orgue
  • Qsar Ghillâne ou le Palais des Djinns, 2003, op.18, poème symphonique pour orchestre

 

 

Annexe 2 – Bibliographie

Pour Olivier GREIF, je me suis référé à cette magistrale Somme musicologiqueque constitue-le : Olivier GREIF, sous la direction de Brigitte François-Sappey et Jean-Michel Nectoux, aux éditions Aedam Musicae, 2013, où l’on trouve de très bouleversants témoignages familiaux de son frère, Jean-Jacques GREIF, de très émouvants commentaires de compositeurs dont il était proche (Philippe Hersant, Anthony Girard, Benoît Menut, Nicolas Bacri ainsi que d’interprètes d’exception de ses œuvres (Dominique de Williencourt, Marc Minkoski, Henri Demarquette, Michel Dalberto, Gaétane Prouvost, Alexis Galpérine) et des textes précieux de la fine fleur de la musicologie française (Brigitte François-Sappey, Jean-Michel Nectoux, Gilles Cantagrel, Mildred Clary) ainsi que des remarques sensibles et personnelles de celle qui fut une amie très proche du compositeur, Patricia Aubertin.

Pour Jean-Louis FLORENTZ, je me suis référé au remarquable : FLORENTZ… sur les marches du soleil, aux éditions Millénaire III, 1998, (préface de Louis Jambou) de mon ami Apollinaire Anakesa, qui mériterait assurément une réédition complétée (qui inclurait les op. 14 à 18), tant l’enthousiasme communicatif et la connaissance approfondie du compositeur y sont à l’œuvre.




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